Une architecture en Do majeur
« Il y a encore beaucoup de belles choses à écrire en Do majeur. »
Attribuée (1) à Arnold Schoenberg (2), compositeur le plus novateur du XXème siècle, cette phrase peut sonner comme un remord.
Pour nous, cette (fausse ?) citation affermit une intuition : la bonne architecture ne passe pas par l’innovation, le renouvellement permanent des formes. De beaux espaces peuvent encore être produits par des bâtiments de types anciens, abrités par des charpentes en bois portant des couvertures en tuiles.
Un exemple parmi mille autres, le bâtiment plutôt banal – rien de péjoratif dans ce qualificatif (Live Oak Friends Meeting House de Leslie Elkins) qui met en scène le Skyspace de James Turrell (3).
Les reproductions dégradées des pièces graphiques de ce projet ne permettent d’en comprendre le thème fort : une simple découpe dans le plafond voûté de la grande salle protégée des intempéries par un toit amovible. L’angle très aigu des ‘tableaux’ de cette découpe les rendent invisibles à partir de la grande pièce, faisant de la présence du ciel un effet magique. Les photos en témoignent mieux…
Notes :
(1) Nulle trace de cette citation (4, une note dans une note) – systématiquement ressortie quand Schoenberg est évoqué sur Internet – dans la monographie de son élève Hans Heinz Stuckenschmidt (Fayard 1993). Brahms, par son génie de la composition, restera toute sa vie un modèle assumé de Schoenberg pour sa capacité à faire ‘voir’ la musique (Stuckenschmidt p.330), c’est-à-dire resituer les éléments temporels du flux musical dans la structure stable de la composition.
(2) Ami de Loos, de Kraus, d’Altenberg, de Kokoschka, dans la Vienne des années 1900, Arnold Schoenberg est un compositeur, exigeant pour son auditeur, qui en 15 ans (1898 Abschied, 1899 Verklärte Nacht – La nuit transfigurée, 1912 Pierrot Lunaire, 1913 Die glückliche Hand – La main heureuse) a révolutionné la ‘grande musique’. Les mauvaises langues disent que la surdité de Loos le rendait particulièrement réceptif à ces étrangetés. La calme indécence de sa propre architecture le rapprochait nécessairement du musicien révolutionnaire dans la très conventionnelle Vienne KK (Kaiser & König) décrite par Musil.
A parte sur Kokoschka: surtout connu pour ses portrait mordants – dont ceux de Loos et de Schoenberg – il a laissé une magnifique vision de notre église Notre-Dame, peinte en 1925 lors d’un passage à Bordeaux et visible dans notre joli musée des Beaux-Arts.
(3) Lefaivre (Liane) Tzonis (Alexander), Critical Regionalism: Architecture and Identity in a Globalized World, Prestel, 2003 p.116-9
(4) Une note dans une note. Cette citation de Schoenberg est si répandue sur internet – toujours sans source – qu’elle mériterait d’être étudiée pour elle-même. Je n’ai pas un accès facile aux sites germanophones. Sur celui d’une université californienne, on apprend que Schoenberg l’aurait prononcée en 1928 (il était encore Schönberg (5)) à la sortie d’un concert dans lequel étaient donnés les Trois hymnes au travail de Nikolai Medtner… Loin d’être un aveu de déception face à l’œuvre accomplie – l’émancipation ordonnée des dissonances – elle exprime l’attention constante de Schoenberg à la musique tonale pour laquelle une forme de nostalgie se fait plus insistante à la fin de sa vie. Sa dernière œuvre datée n’est-elle pas un canon à 4 voix de quinze mesures dans le plus pur Do majeur (6) ?
(5) Une note dans une note dans une note. La première signature abandonnant la graphie germanique Schönberg est repérée dans une carte postale envoyée d’Arcachon le 16 septembre 1933, peu de temps avant son départ aux Etats-Unis.
(6) Stuckenschmidt, p.534