Repenser, dix ans après, à la genèse d’un bâtiment est un exercice délicat. L’évidence de la forme construite, déjà vécue par l’expérience de quelques années, écrase les souvenirs anciens. Le présent colore la présence du passé : évoque-t-on des pensées anciennes ou décrit-on comment l’objet est, se montre à nous aujourd’hui ? La présence du chantier dans sa mémoire, pour l’architecte qui l’a suivi, éloigne encore les premiers moments de réflexion, ceux de la prise de site et de la formulation des problèmes à résoudre et premières hypothèses de solutions.
Nous ressentions un besoin de calme, de pose, de repli dans cette partie de la ville. De notre perception du contexte urbain, nous écrivions alors : « L’expérience sensible de ce quartier souligne sa situation paradoxale : ancien faubourg de la ville médiévale, à l’intérieur de la ceinture des cours, proche de l’hyper-centre mais déjà en amorce de la beauté ennuyeuse des quartiers périphériques de la « ville de pierre » : des rues tantôt sereines tantôt déclassées, cisaillées par les transferts de trafic automobile entre les cours. L’activité commerciale y est très hétérogène et de qualité contrastée. »
Assez naturellement, nous avons pensé restituer à la ville l’espace sur cour, à l’arrière de tout front bâti à l’alignement de la parcelle. Cela permettait de requalifier l’impasse Caillabet et modifiait son classement de voie en rendant possible le retournement des véhicules de secours.
Le thème de la cour circulaire est pratiquement absent à Bordeaux si l’on excepte celle de la Cité Mondiale de Michel Pétuaud-Létang en retrait du quai des Chartrons. Il est plus présent à Paris (136 rue Amelot, 24 rue Ramponneau…) mais c’est celle que Cruz y Ortiz avaient construit à Séville en 1976 – plutôt en forme de haricot d’ailleurs – qui nous servait de référence par sa double proposition : contraindre la forme d’un immeuble par la volonté d’une géométrie forte et perpétuer l’esprit classique dans une écriture architecturale atemporelle, réaliste dans son renoncement à l’ego, si nécessaire dans nos villes anciennes comme dans leurs nouveaux quartiers.
Le bâtiment présente sa façade pierre sur la rue de Cursol, amorçant, par son gabarit supérieur d’un étage à son bâtiment mitoyen, l’intégration de l’immeuble « milanais » de sept étages de l’angle des rues Cursol et Jean Burguet. Le retournement sur l’impasse, en retrait décroissant de l’alignement, invite à la découverte par sa perspective déformée. L’espace circulaire de la cour publique déploie ensuite sa façade, suivant en plan la courbe d’un arc de cercle outrepassé, jusqu’à son retour contre le porche de l’institution des Coqs Rouges qui ferme l’impasse.
La masse du bâtiment, articulé en deux corps distribués par trois cages d’escalier, flotte sur un rez-de-chaussée très vitré à la composition libre, seulement dictée par ses différents usages : halls d’entrée, bureaux et centre de formation. Le premier étage accueille des bureaux et règle, par ses percements au rythme insistant, d’un mitoyen à l’autre de la parcelle, la composition des étages supérieurs. Ceux-ci se creusent et s’évident, selon leur orientation, pour offrir aux logements qu’ils hébergent des espaces extérieurs privatifs, terrasses ou balcons, opaques pour ménager une meilleure appropriation.
La recherche d’une expressivité mesurée malgré sa morphologie affirmée, choix architectural initial, a en outre permis une certaine souplesse dans l’adaptation d’un programme évoluant au grès des opportunités : ce n’est que tardivement dans le processus de conception que la Caisse des Dépôts et Consignation décida de s’installer dans l’îlot et le siège de BMA occupe sur trois niveaux le bâtiment sur la rue de Cursol initialement destiné à des logements.
© Denis Lacharme
© Vincent Monthiers