Saul Steinberg, architecte

Saul Steinberg est un génie.

Deux dessins de lui m’ont montré le père que je ne voulais pas être (1) et celui que j’aurais voulu devenir (2).

Philippe Hullot me l’a fait découvrir à la fin de l’adolescence et je collectionne depuis ses livres et les publications qui lui sont consacrées, dont les numéros Derrière Le Miroir (3) dans lesquels – j’en suis certain – sont glissés des dessins originaux.
L’actuelle exposition au Centre Pompidou (Entre les lignes, Galerie d’art graphique, du 29 septembre 2021 au 28 février 2022) (photo de photo de Juliette) m’a donné envie de rassembler ces éléments épars.

Une infinité de styles et de thèmes se succèdent pendant cinquante ans, du cartoonist ‘à sales gosses’ des années 40 (4), du portraitiste de musiciens des années 50 (5), du reporter de l’Amérique profonde (6), de ses taxis (7) et de ses majorettes (8), de celui de l’âme humaine (9), du pur fantaisiste (10), du méditatif observateur de son propre dessus bureau produisant les phénoménologiques ‘Séries de table’ (11), au critique d’art (12) et à l’artiste de génie (13) – chaînon manquant entre le grand art, celui du Klee de la ‘Machine à gazouiller’ (14) et la culture populaire. Ses innombrables couvertures pour le magazine The New Yorker (15) en font un compte-rendu décousu et fascinant. Evidente association d’idées : Jean-Jacques Sempé [Sempé à New York, Denoël 2009] aura évidemment son petit dossier dans notre site.

Architecte de formation, ami de Bernard Rudofsky (16) mais aussi de Le Corbusier, Saul Steinberg est selon Peter Blake « le critique d’architecture le plus brillant des Etats-Unis au cours du dernier demi-siècle. » (cité par Francesca Pellicari, Abitare 467, p.110, cf ci-dessous). De nombreux collages ou dessins confirment ce jugement : architecture milanaise des années 30 (17) – ses vues des galeries italiennes (18) – ou ses portraits architecturaux délirants des Etats-Unis – rue poubelle (19), façades Chippendale (20), immeubles miesiens (21), plongée piranésienne dans la bouche de métro new-yorkaise (22) ou coupe sur un immeuble, inspiration de La vie, mode d’emploi de Pérec (23) jusqu’au célébrissime « Le monde vue de la 9ème avenue », 1976 (24).
Il est également un observateur tendre de notre vie quotidienne dans The Art of Living (25). L’intimiste salle de billard (26) me fait immanquablement penser à la photo de Hans Baumgartner du foyer d’étudiants enfumé zurichois utilisé par Peter Zumthor dans Atmosphere (27).

[Sauf précision différente, bien des dessins proposés ici sont tirés du remarquable – et bon marché ! – recueil de Lain Topliss (Delpire Editeur, 2008 – Poche Illustrateur)]

HT, 25 janvier 2022

Notes

(1) Sans titre, 1959 (The New Yorker du 14/3/1959)
(2) La lune, 1953 (The New Yorker du 17/10/1953)
(3) Derrière le Miroir = DLM, Maeght éditeur. Beaucoup de ces dessins sont exposés à la galerie Maeght de Saint-Paul-de-Vence. Voir les scans ci-dessous dans la bibliographie.
(4) The Art of living, p.54
(5) Sans titre, 1954-5 (The New Yorker du 12/2/1955) – Sans titre, 1954-5 (The New Yorker du 12/2/1955) – page d’un carnet de croquis, 1954 (YCAL) – Sans titre, 1954 (The New Yorker du 13/3/1954) – Sans titre, 1954 (The Passport, 1954) – Sans titre 1954-5 (The New Yorker du 12/2/1955)
(6) Floride, 1964 – Vingt américains, 1975 – Las Vegas, 1985
(7) Sans titre, 1977 – Chinatown, 1989
(8) Sans titre, 1951 (Fondation Saul Steinberg) – Sans titre, 1951 (YCAL)
(9) Sans titre, 1961 (The New Yorker du 25/11/1961)
(10) Rêve de cube, 1960 (The New Yorker du 30/7/1960) – Sans titre, 1957 (YCAL, The New Yorker du 2/3/1957) – Sans titre, vers 1956 (The Labyrinth, 1960) – Sans titre, 1949 (Fondation Saul Steinberg)
(11) Série de table : Union Square, 1973
(12) Sans titre, 1965 (The New Yorker du 18/9/1965) – Sans titre, 1958 (The New Yorker du 8/3/1958) – Galerie II, 1964-5 (Le Masque, 1966) – Le musée, 1971 (Discovery of America 1992)
(13) Art Viewers, 1966 (catalogue Centre Pompidou, Steinberg. Entre les lignes, 2021 p.24-5)
(14) Paul Klee, Die Zwitscher Maschine (La machine à gazouillis), 1922 (Hazan 2012 p.152), première occurrence mondiale de shadocks
(15) Steinberg at the New Yorker (références dans Bibliographie ci-dessous), Première de couverture, quatrième de couverture
(16) Portrait de Bernard Rudofsky (Lessons from Bernard, p13), [dossier Rudofsky à venir]
(17) Milanaise II, 1973 (Fondation Saul Steinberg) – Villa Maria, 1969 (Rosenberg p185) – Milano Bauhaus, 1970 (Rosenberg p188)
(18) Galleria Napoli, 1951 (Rosenberg p134-5) – Sans titre, 1951 (DRM 53-4 p13) – Galleria Napoli, 1952 (DRM 53-4 p12-3) la galerie devient ici volière, les passants s’y envolent…
(19) Third Avenue, 1951 (Rosenberg p.52)
(20) Downtown, 1951 (Rosenberg p.88)
(21) Architecture de papier millimétré, 1954 (collection de Leon et Michaela Constantiner)
(22) The Art of Living p.22
(23) The Art of Living p.45
(24) Rosenberg, p79
(25) The Art of Living, p.13, p.19, p.163, p.164
(26) Sans titre, 1954 (YCAL)
(27) photo et référence du livre de P.Z.

Documents présents sur ce site :

. Francesca Pellicciari, « Saul Steinberg, l’archittetura et il « piccolo padre » le Corbusier » dans abitare 467, 2006, p.110-117. Les scans de l’article ici, notre traduction .
. Italo Lupi, « A Tribute to Saul Steinberg (1914-1999)» dans abitare 387 p.136-141, scans ici, notre traduction .
. « Saul Steinberg », notice nécrologique dans Architecture d’Aujourd’hui 323, juillet 1999. Le scan de l’article ici.
. Hubert Damisch, « Tables d’évidence » dans DLM 205. Les scans du texte ici.
. Italo Calvino, « La plume à la première personne » dans DLM 224. Les scans du texte ici.
. Illustrations d’un article de David Mangin sur la critique architecturale (AA n°237). Le scan de l’article ici.
. « Mia patria è qui » Saul Steinberg, abitare 415. Le scan de l’article ici.
. « Une vie entre les lignes » AMC 181 (septembre 2008). Le scan de l’article ici.
. Domus 214 (encyclopédie Domus, volume 2). Le scan de l’article ici.
. « Le siège moderne », dans Domus 697 p.76-7 (illustrations). Le scan de l’article ici.

Bibliographie (livres présents à l’agence) :

. S. Steinberg, All in Line, Duell, Sloan & Pearce , New York 1945
. S. Steinberg, The art of living, Harper & Brothers, New York 1949

. S. Steinberg, Dessins, Gallimard 1956
. S. Steinberg, Passeport, Chêne 1973 (dessins extraits de The Passport 1954)

. Harold Rosenberg Alfred A. Knopf, Saul Steinberg, Whitney Museum, New York 1978
. Roland Barthes, all except you, Repères (Galerie Maeght) 1983
. collectif, Steinberg, Repères (Galerie Maeght) 1986
. Aldo Buzzi & Saul Steinberg, ombres et reflets, Christian Bourgois 2001
. Joel Smith, Steinberg at the New Yorker Harry N.Abrams 2005
. Iain Topliss, Saul Steinberg, Delpire Editeur 2008 (Poche Illustrateur)
. collectif, Saul Steinberg. L’écriture visuelle, Musées de la ville de Strasbourg, 2009 Catalogue de l’exposition présentée au musée Tomi Ungerer du 27 novembre 2009 au 28 février 2010
. Anne Montfort-Tanguy et Valérie Loth (sous la direction de), Saul Steinberg. Entre les lignes, Centre Pompidou, 2021

Derrière le miroir (DLM) :
. 53-54 (1953, couverture ici),
. 157 (mars 1966, couverture ici),
. 205 (septembre 1973, couverture ici)
. 224 (mai 1977, couverture ici)